Qu’y a-t-il de commun entre un abricot, un baldaquin, un divan, une fanfare, un pyjama, un tambour et une tulipe ? Entre un kiosque, du lilas, un baobab, une girafe, le signe arobase, de la bergamote ou de la percale ? Vous donnez votre langue au chat ? Tous ces mots, passés ou non par l’espagnol ou l’italien anciens, par le grec ou le latin, sont de filiations arabe, turque ou persane.
Les mots voyagent. Ils se rencontrent, se modèlent, s’enrichissent, laissent des empreintes, font des enfants illégitimes et métissés qui eux-mêmes, au hasard des exodes et des échanges, donneront naissance à de nouveaux vocables. Oui, la langue, malheureusement souvent bien plus que ceux qui la parlent, est bonne fille : elle est souple, accueillante, ouverte aux emprunts, aux échanges. Ce qui au final, lorsque l’on demande aux mots, au hasard des rues où ils se baladent, « vos papiers SVP », pour ficher leur origine étymologique dans des dictionnaires bien péremptoires… rend toute réponse très aléatoire.
Fiche technique
Texte : Salah Guemriche
Maquette : Gaston Riou
Production diffusion : Dazibao Exposition
15 panneaux 60×84 cm : poids 1.8 Kg
prix de location : la semaine 190 € – 15 jours 270 € – 3 semaines 345 € – le mois 395 €
prix de vente : imprimée sur bâche 510 g – 690 €
1. Introduction
2. Animaux
Au sortir des haras* de la Madrague*, un cheval zain* et un cheval aubin* trottaient devant un bardot* portant fardeau* ; un clébard vint à croiser leur chemin… L’histoire ne dit pas ce qui arriva, mais elle nous dit ce qui unit les mots en italique : ils sont tous d’origine arabe. Tout comme Madrague*, qui, soit dit en passant, est le nom de la propriété d’une certaine Brigitte Bardot…
3. Jeux
Aucun risque* de se tromper en affirmant qu’entre jeux de hasard* et d’échecs*, la langue arabe a laissé des traces aussi bien dans le lexique de nos loisirs que dans celui de l’astronomie. Le joueur de tennis ou de ping-pong sait-il que raquette* vient d’un mot arabe désignant la « paume de la main », ce qui renvoie d’ailleurs à l’ancêtre de la pelote basque : le jeu de paume, lequel, à l’origine, se jouait justement « à main nue » ?…
4. botanique
Orange compte parmi les mots qui, entre le IXe et le XVIe s., auront connu l’itinéraire le plus extravagant : narandj est resté longtemps en concurrence avec deux autres mots par lesquels la langue arabe elle-même désigne l’orange (tchina : « de Chine » ; et bourtouqal : « du Portugal »). Tout comme la zoologie, la botanique est riche de ces noms qui ont commencé par être exotiques avant d’être naturalisés français, voire : des étymologistes du XIXe siècle n’hésitèrent pas à en faire des « Français de souche » !
5. A table
C’est dans le domaine de l’art culinaire que la langue arabe a marqué le plus concrètement notre quotidien. Rien qu’en évoquant les noms des recettes et des épices, l’eau vous vient à la bouche ! En matière de contenu, mais aussi de contenant : avec le café*, le moka* et le sucre*, on a la tasse* et le mazagran* ; avec le jus d’orange*, on a la carafe*, etc. Autant de termes que l’histoire nous a légués pour désigner des boissons ou des ustensiles devenus si familiers que l’on ne se soucie plus de leurs origines. Ce n’est plus de l’intégration, c’est littéralement de l’assimilation !…
6. C’est la fête
Faire la nouba, faire le zouave* ou le fanfaron*, c’est un peu faire du ramdam*, même sur Internet (puisque, désormais, le mot est officiellement donné pour synonyme de buzz). Et que l’on se fasse traiter de lascar* ou de maboul*, que l’on se joigne à la fanfare* ou à la sarabande*, que l’on avance masqué* ou que l’on fasse dans la mascarade*, on aura toujours des accointances avec la langue arabe, sans le savoir, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir…
7. Musique
Une légende, rapportée par André Chouraqui, dit que le mot « musique » viendrait non plus de « muse » mais de « Moïse » : en frappant le rocher de son bâton, comme le lui ordonnait la voix céleste, Moïse fit jaillir de l’eau, douze jets exactement. La voix, rendue en arabe, dit : « Ya Moussa esqui ! » (Ô Moïse, donne à boire ! »), ce qui, par contraction, donnera « Moussiqui », puis « Moussiquiya » : musique !… Ce sont ces douze jets qui auraient inspiré les douze modes de la musique arabe. De là, la nouba*, suite interprétée « à tour de rôle ». Sans tambour* ni trompette, mais jamais sans guitare*, luth*et autres timbales*…
8. Vêtements
On peut le dire : ici, avec la Journée de la jupe, Isabelle Adjani est tombée dans le panneau ! Contrairement à l’ouvrière de Flaubert (L’Education sentimentale) : « Tout à la fois mince et potelée, elle avait de gros yeux noirs… Sa poitrine abondante saillissait sous sa chemise*, tenue autour de sa taille par le cordon de sa jupe*… A côté d’elle traînaient une bouteille de vin et de la charcuterie. » Adjani, elle, porte une arme dans une main et un livre dans l’autre. Il ne manque plus que le gilet* pare-balles !… Sauf que la star, de père algérien, fait plus dans le soft que dans les… hardes* : satin* et coton*, mohair* et mousseline* !
9. Art de vivre
En matière de confort et de bien-être domestique, le lexique « maison » fait dans l’art de vivre. Que le mot alcôve* et coupole* partagent une même racine, cela tombe sous le sens, mais que divan* soit de même origine que douane*, voilà qui n’est pas banal ! Et si baldaquin* et moucharabiehs* gardent leur part d’exotisme, que dire de matelas*, donné jadis comme d’origine latine (mataracium), et qui, en argot, a eu le sens de « tas de billets de banque », voire de « portefeuille » !?
10. La marine
Ce n’est tout de même pas banal si, d’anciens bédouins qu’ils furent, les Arabes devinrent, dès les premiers siècles de l’expansion musulmane, de remarquables marins ! On connaît l’origine du titre d’amiral*, bien sûr… Mais, de la terminologie marine de ces conquérants, les langues européennes ont gardé bien d’autres traces, insoupçonnables : arsenal*, fanal*, houle*, mousson*, récif*. Jusqu’au nom de l’albatros*, « ce vaste oiseau des mers »… Voire : si vous menez « une vie de patachon* », c’est que vous avez de quoi tenir du conducteur de l’antique patache* !…
11. Echanges
Avec les mathématiques, la marine et la gastronomie, c’est en matière des « échanges » que la langue arabe a pénétré le français plus qu’aucune autre langue non indo-européenne, et même plus que le celte !… A commencer par l’ancien impôt nommé gabelle*, par la douane* et le magasin* (d’où, curieusement, le moderne magazine !). Une histoire de trafic*, en somme. Et de tarification*…
12. Matières précieuses
Certaines matières (comme l’ambre*, le lapis ardens des Romains ; le bernstein des Allemands : « pierre qui brûle ») sont, par leur rareté mais aussi par leur beauté, devenues inestimables, surtout pour les artistes. Ainsi, est-ce par son bleu clair et intense qui le distingue que le lapis–lazuli* s’imposa dans les arts plastiques, et même héraldiques. C’est cette couleur des céramiques arabo-persanes découvertes par l’Italie au XVIe siècle qui est à l’origine de l’engouement pour ce bleu, symbole d’idéal, d’infini et de pureté.
13. Maths
Quel rapport y a-t-il entre la réduction d’une fracture et la réduction d’une équation ? En arabe, les deux se disent pareillement : el–jabr. Terme qui a donné algèbre*. Chez les anciens Arabes, c’est aussi « l’art du rebouteux », tout comme en espagnol (voir l’algebrista dans le Don Quichotte de Cervantès). Ainsi, les mathématiques se trouvent-elles en étroite équation avec la vie ! Et si chiffre* et zéro* sont tous deux issus du même mot arabe sifr, il faut savoir qu’une expression en vieux français parlait de « chiffrer la messe » ou « chiffrer la leçon » pour dire la sauter, ne rien en faire, tout comme sifr a commencé par signifier : « vide, rien, néant »…
14. Physique-Chimie
C’est leur passé d’alchimistes qui aura donné aux mystiques arabes ce pouvoir de transmission de mots devenus aujourd’hui universels. De ces mots de laboratoire, il en est des dizaines passés par l’espagnol ou l’italien au français et à d’autres langues européennes. Le cas de amalgame* est autrement singulier : du sens de « mélange », de « fusion » et de « communion », il passe à celui de « confusion ». Mais que ce soit avec alchimie*, alcool*, alambic*, élixir*, et même avec laiton*, tous portent la trace de l’article arabe el (al, ou l, après élision vocalique).
15. Astronomie
Pas moins de 300 étoiles portent un nom d’origine arabe. Or, comme le souligne Régis Morelon, du CNRS, « les manuels d’histoire de l’astronomie font très souvent l’impasse sur l’astronomie arabe qui s’est développée entre le IXe et le XVe s., comme s’il n’y avait rien eu entre l’astronomie de Ptolémée, au IIe siècle de notre ère, et celle de Copernic… ». En fait, ajoute Assia Djebar de l’Académie française, « l’essor de l’astronomie arabe commença avec les califes Haroun el Rashid (813-833) et El-Ma’moun (qui rassemblèrent) la somme du savoir grec et les connaissances venant de l’Inde et de la Perse ».